Ce qui compte n'est pas seulement la diversité du vivant, mais aussi la diversité des modes de relation que les habitants entretiennent avec ces vivants.
Coralie Mounet
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Ce qui compte n'est pas seulement la diversité du vivant, mais aussi la diversité des modes de relation que les habitants entretiennent avec ces vivants.
Coralie Mounet
La biodiversité ne fait pas encore sens dans les usages et pratiques de nature, dans le quotidien des habitant.es.
Coralie Mounet
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(RÉ)CONCILIER
Grenoble-Alpes Métropole a créé un observatoire de la biodiversité pour diffuser la connaissance technique et scientifique de « la répartition des espèces et de la localisation des espaces naturels d’intérêt patrimonial ». La définition de ce qui fait « patrimoine », c'est-à-dire ce qu'il s'agit de préserver, s’appuie sur les connaissances des spécialistes de la biodiversité et engage l’ensemble des citoyens, puisqu’elle désigne les éléments de l’environnement pour lesquels nous avons une responsabilité commune. Mais force est de constater que la biodiversité est un concept d’experts, qu'ils soient associés aux sphères scientifiques et techniques (métiers de l’écologie) ou aux usagers identifiés par les politiques publiques de préservation de la biodiversité (chasseurs, pêcheurs, naturalistes, agriculteurs). Alors que peu d’habitant.es peuvent définir ce que recouvre exactement cette notion et qu’elle évoque des enjeux écologiques plutôt globaux (préservation de la forêt amazonienne par exemple), la biodiversité ne fait pas encore sens dans les usages et pratiques de nature, dans le quotidien des habitant.es.
Le projet Biosociodiversités s’empare des expériences ordinaires de nature (la nature avec laquelle les habitant.es cohabitent, dans leurs lieux de vie, de travail, de loisir et qu’ils et elles rencontrent dans leurs déplacements quotidiens) pour saisir la diversité des lieux, des pratiques, des natures “qui comptent” pour eux . Il cherche ainsi à cerner “ce qui fait patrimoine” collectivement, dans une définition élargie qui intègre la diversité des expériences des habitant.es.
Pour cela, des chercheur.es en géographie, sociologie, anthropologie, philosophie et des étudiant.es de l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine se sont intéressé.es aux itinéraires empruntés par les habitant.es à proximité de leur domicile, pour aller au travail, prendre l’air, promener son chien, etc. Une soixantaine de personnes, choisies en fonction de leurs pratiques, ont été enquêtées le long d’un transect allant de la plaine urbanisée de Grenoble aux montagnes du massif de Belledonne en intégrant les territoires de l’entre-deux : le périurbain et les pentes habitées. Les chercheur.es et étudiant.es les ont interrogées, puis les ont accompagnées sur ces itinéraires quotidiens en notant les éléments auxquels elles portent attention et le sens qu’elles leur donnent, suivant la méthode des “parcours commentés”(mise en place par Jean-Paul Thibaud et adaptée par l’équipe).
Les parcours commentés ont révélé une diversité d’expériences de nature, indépendamment du niveau d’anthropisation des lieux le long de ce transect, et une multiplicité d’itinéraires dessinés par les pratiques des habitant.es à proximité de leurs lieux de vie. Les modes de transport comptent particulièrement dans cette attention à la nature au quotidien : certain.es Grenoblois.es, se déplaçant en vélo ou à pied, opèrent des détours dans leurs trajets domicile-travail pour chercher des lieux avec une présence végétale plus importante et vivent ainsi une ville bien différente d'habitant.es automobilistes par exemple. Tou.tes, pour “prendre l’air”, privilégient des espaces considérés pour leur caractère « vert », et choisissent des lieux de déambulation perçus comme offrant une certaine quiétude tels que les parcs de ville, les berges de l’Isère ou du Drac, des lieux plus ou moins éloignés des habitations. À travers ces itinéraires, les habitant.es dessinent par leurs pratiques un archipel d’îlots propices au ralentissement et au ressourcement et esquissent de véritables trames expérientielles à travers l’espace.
Ces îlots sont le théâtre de véritables expériences sensorielles de qualité : les enquêté.e.s recherchent particulièrement des lieux avec une vue sur les montagnes, où l'on peut sentir des odeurs de parfum de fleurs mais surtout où l'impact sonore des activités humaines s’atténue et permet l’attention à d’autres sons, comme ceux de l’écoulement de l’eau ou d’oiseaux. Ces expériences de nature engagent par ailleurs différentes dimensions comme la mémoire des lieux et de leur évolution, celle d’expériences passées reliées à l’enfance ou la famille, des imaginaires poétiques, voire des dimensions spirituelle et symbolique. Pour le dire simplement, les expériences de nature engagent des dimensions culturelles.
La carte des “trames expérientielles” se superpose souvent à celle des politiques de préservation de la biodiversité, notamment avec les trames vertes et bleues. Cela montre une convergence entre les espaces d'intérêt pour la conservation de la biodiversité et pour les usages récréatifs et/ou quotidiens. Mais les habitant.es intègrent également des lieux et des éléments ne faisant pas partie du périmètre des politiques de conservation de la nature, dans leurs expériences privilégiées : leur attention porte sur des bacs à fleurs, des arbres isolés dans les rues et parkings, des plantes perçant l’asphalte…Ces éléments, qui peuvent être considérés comme mineurs d’un point de vue de la biodiversité, ont pourtant leur importance, car ils sont souvent reliés à des expériences de l’ailleurs (la montagne, par exemple) et constituent ainsi des réserves d’expériences sensorielles et affectives des liens entre les humains et la nature dans le quotidien urbain. Ils sont également générateurs d’attachement aux lieux, aux saisons, et sont moteurs de concernement pour la préservation de la biodiversité et plus largement d’un environnement ordinaire.
Ainsi, le projet Biosociodiversités a mis en avant des dimensions peu prises en compte dans les observatoires de biodiversité et qui font pleinement partie des expériences habitantes et quotidiennes de la nature. Ce qui compte n'est pas seulement la diversité du vivant, mais aussi la diversité des modes de relation que les habitants entretiennent avec ces vivants. Ces dimensions gagneraient à être intégrées dans les politiques de préservation et plans d’urbanisme, à l’instar de la dimension sonore, qui pourrait être investie et participer à requalifier "ce qui fait patrimoine et bien commun".
paroles de Coralie Mounet entretien avec Benoît Betton entretien avec Hugues Merle