Nous avons besoin de comprendre la complexité des systèmes qui vacillent, le caractère critique de nos vulnérabilités comme l’importance des interdépendances qui nous lient.
Sylvain Grisot
Au siècle de l’abondance, penser l’avenir d’un morceau de territoire était plutôt facile. Il suffisait de postuler quelques futurs aux différentes saveurs de croissances, choisir le « scénario volontariste », saupoudrer d’optimisme et décliner tout ça dans un grand plan coloré avec de belles flèches. Nous dissertions même longuement sur les bons périmètres institutionnels, l’attente de la grande et belle réforme territoriale et hésitions même parfois à faire nos PLU à l’échelle intercommunale.
Changer de siècle
Mais ça, c’était avant. C’était il y a quelques mois, moins d’une poignée d’année. C’était il y a un siècle. Car avec la pandémie nous sommes entrés aussi tardivement que brutalement dans le XXIe siècle, et les choses se sont singulièrement compliquées depuis. Nous vivons des crises que seuls pouvaient imaginer des scénaristes hollywoodiens dépressifs : pandémie mondiale, chocs climatiques, pénurie en tout genre, problèmes énergétiques, guerre en Europe et même canal de Suez obstrué. À ce mauvais film s’ajoute une crise sociale et démocratique dont on ne réalise sans doute pas encore toute l’ampleur.
Il va donc falloir passer à l’action, parce que faute d’avoir choisi entre atténuation ou adaptation au réchauffement climatique à la fin du XXe siècle, nos territoires vont devoir faire les deux. Faire leur part dans l’effort massif de décarbonation à peine esquissé, s’adapter à un climat qui change, mais aussi bâtir une nouvelle résilience. Car les coups vont être plus fréquents, plus violents, mais aussi toucher des territoires qui se croient aujourd’hui à l’abri. Il va nous falloir apprendre à tenir quoi qu’il arrive, et surtout l’impensable. Car nous gérons encore les risques en regardant le passé pour prédire l’avenir. Mais ça, c’était avant, bienvenue dans le siècle de l’incertitude.
Nous sommes désorientés et les discours creux associés à l’inaction nous ont rendus sceptiques. Nous avons besoin de comprendre la complexité des systèmes qui vacillent, le caractère critique de nos vulnérabilités comme l’importance des interdépendances qui nous lient. Nous avons besoin de concret, et cela tombe bien car le chantier est immense.
Changer d’échelle
Puisque les énergies renouvelables sont décentralisées et qu’elles prennent de la place, à charge désormais pour chaque territoire de développer ses potentiels, de comprendre ses besoins propres. À chacun aussi d’organiser sa stratégie alimentaire à la recherche d’une autonomie toute relative. Partout le vaste chantier d’isolation du parc bâti doit aussi mobiliser les filières de matériaux biosourcés dans la proximité. Il va falloir sécuriser la ressource en eau et apprendre à mieux la partager, tout en trouvant le moyen de décarboner les mobilités du quotidien. La tâche est immense.
Et ces chantiers ont tous un point commun : ils transcendent les périmètres institutionnels. La nécessité de changer d’échelle est évidente, mais ne nous trompons pas de sujet. Il n’est pas question de changer les périmètres de nos institutions ou de nos documents stratégiques, car nous n’avons plus le temps pour ces joyeusetés. C’est d’un changement d’échelle du regard et du dialogue dont nous avons besoin.
Changer d’horizon
Il est temps de dépasser les querelles de clocher auxquelles les citoyens ne comprennent plus rien, et de miser sur l’intelligence et l’engagement des femmes et des hommes qui composent nos institutions pour engager des collaborations concrètes. Cela nécessite de dépasser la tragédie de l’horizon qui bloque le regard des décideurs dans un pas de temps court, sans rapport aucun avec celui des enjeux. C’est aussi un changement de posture de la collectivité qui ne décide pas, qui ne fait plus seule, mais qui fait avec et rend possible l’éclosion des initiatives. Ce rôle essentiel de catalyseur doit permettre à chacun de faire sa part. De tisser les liens permettant de partager des visions, des doutes, des ressources et des efforts, en assumant les interdépendances entre nous, le vivant, et même le climat.
paroles de Sylvain Grisot entretien avec Magali Talandier entretien avec Philippe Bihouix entretien avec Florent Sion