(P)RÉPARER

L’espace public

Le trottoir ou la voie de la résilience urbaine ?

Écrit par : Isabelle Baraud-Serfaty, fondatrice de l’Agence Ibicity, auteure de Trottoirs ! Une approche économique, historique et flâneuse, Éditions Apogée, mai 2023

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Isabelle Baraud Serfaty © Brigitte Cavanagh

3 questions à Isabelle Baraud-Serfaty


Quel est selon vous l’espace public le plus emblématique ?


Le trottoir. C’est un objet si courant qu’il figure en bonne place dans les imagiers des tout-petits. Pourtant, le terme est largement absent du langage des urbanistes et des penseurs de la ville qui privilégient le plus souvent l’expression « espace(s) public(s) ». Une première explication est certainement que l’« espace public » est à la fois plus large (il inclut aussi l’autre partie de la rue qu’est la chaussée, et les places et les espaces verts) et davantage porteur des valeurs de citoyenneté. Mais une autre raison est sans doute la connotation négative qu’on attache en France au mot « trottoir », associé à « la vie dans la rue » et à la prostitution.

Les trottoirs existaient à Pompéi, mais ont ensuite disparu du paysage des villes européennes jusqu’à leur réapparition en France au tournant du XIXe siècle, puis leur généralisation avec une loi de 1845 portant sur leur financement, laquelle coïncide avec la création des grands réseaux d’eaux, d’égouts et de gaz qui s’accélère sous Haussmann. Symbole de la naissance des infrastructures urbaines sous l’effet des transformations hygiénistes et industrielles au milieu du XIXe siècle, le trottoir illustre aujourd’hui la mutation des villes sous l’effet des transitions numérique, écologique et post-Covid.


Pourquoi le trottoir cristallise-t-il les enjeux de transformation de la ville ?


Primo, les encombrements se multiplient sous l’effet du numérique, notamment parce que la plupart des habitants ont désormais dans leur poche un « super ordinateur » et peuvent être géolocalisés. C’est le cas avec les trottinettes et autres engins de déplacement personnel en libre-service et aussi avec les opérateurs de voitures de transport avec chauffeurs et de logistique urbaine, qui « embrassent » le trottoir et sa bordure pour prendre en charge ou déposer passagers ou colis.

Secondo, les préoccupations environnementales conduisent à l’apparition de nouveaux objets sur le trottoir : bornes de recharge électriques ou de collecte de déchets, bornes d’apport volontaire pour les déchets alimentaires en vue de leur compostage, fontaines rafraîchissantes, brumisateurs d’air, arbres…

Tertio, de nombreux encombrements sont de plus en plus le fait des habitants-usagers-consommateurs qui deviennent producteurs soit individuellement, avec les permis de végétaliser, soit agrégés dans des collectifs portés par des associations ou des entreprises de l’économie sociale et solidaire ; ou encore acteurs des circuits courts alimentaires pour lesquels le trottoir constitue bien souvent le lieu physique où ils retirent leurs produits.


Cet espace se révèle-t-il particulièrement résilient ?


Alors que le trottoir était perçu le plus souvent comme le vis-à vis de la chaussée (la chaussée pour les voitures, le trottoir pour les piétons), et donc essentiellement dans sa composante liée à la mobilité, il doit de plus en plus être appréhendé dans sa dimension d’immobilité, autour de trois nouvelles fonctions :

  • Le trottoir se révèle être un espace urbain très résilient, comme l’épidémie de coronavirus l’a démontré. Il est devenu l’espace ouvert en bas de chez soi (pendant le premier confinement) puis la salle d’attente des commerces et le lieu du Click and Collect ; entre deux confinements, le lieu où les restaurateurs ont installé leur terrasse pour continuer leur activité.
  • Le trottoir se présente de plus en plus comme le lieu de nouvelles pratiques : l’espace public se « méditerranéise » et devient un prolongement du domicile. Cette fonction ouvre sur la montée en puissance du « riverain » (versus l’habitant) et sur l’idée que les trottoirs et plus largement les rez-de-ville (trottoirs et rez-de-chaussée) deviendraient de « nouveaux communs urbains ».
  • Une troisième fonction se révèle quand on adopte le point de vue des opérateurs de la ville pour qui le trottoir est une ressource-clef. Pour ces acteurs, notamment les plateformes numériques, le trottoir doit être considéré comme une nouvelle frontière entre les économies en ligne et locale. Alors que le commerce en ligne est considéré comme une menace majeure pour le commerce de proximité ; il faut avoir conscience que le trottoir est de facto le quai de déchargement et constitue le point d’accès obligé aux domiciles.

paroles d'Isabelle Baraud-Serfaty reportage : Le Pont-de-Claix et l'espace public