(P)RÉPARER

La mise en projet(s)

Faire la ville : de l’impulsion dominante de l’État à la reprise en main par le bloc local

Écrit par : Emmanuel Boulanger, Directeur d'études Habitat / Cohésion sociale à l'Agence

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Emmanuel Boulanger

Le paysage urbain de la région urbaine grenobloise est fortement marqué par des grands projets qui, dans les années 60-70 notamment, étaient très liés à des impulsions ou des politiques d’État :

  • Les ZUP (Villeneuve de Grenoble-Échirolles)

  • Les infrastructures issues des JO d’hiver de 1968 (village olympique, palais des sports…)

  • CEA, la presqu’ile scientifique, le campus universitaire,

  • ….


L’Agence d’urbanisme a été créée à cette époque, il y a 50 ans pour aider les élus locaux à se réapproprier l’urbanisation de leur territoire, face à des projets venus « d’en haut », des plans conçus par de grands urbanistes d’État.

À partir des années 80 la décentralisation donne de plus en plus de pouvoir au bloc local en termes d’aménagement du territoire. C’est la grande heure des Zones d’aménagement concerté (ZAC) permettant aux communes de déployer et maîtriser les grands projets d’urbanisation destinés à conforter ou créer leur centralité sur des espaces laissés vierges (ZAC centre à Échirolles, à Saint-Martin-d’Hères…), produire du logement en quantité et en diversité (ZAC de Fiancey à Saint-Égrève, les Ruires à Eybens….), valoriser des friches industrielles ou militaires centrales issues des siècles précédents (ZAC Bouchayer Viallet, Vigny-Musset ou De Bonne à Grenoble…).

L’initiative et la maîtrise programmatique de ces projets qui contribuent au développement urbain, sont largement communales, quand bien même ces grands projets doivent s’inscrire en cohérence avec les cadres émergents à l’échelle intercommunale, des Schémas directeurs (devenus SCoT), des Programmes locaux pour l’habitat (PLH).

Dans les plus petites communes (et à part les zones économiques souvent parmi les premiers projets multi-communaux), le « projet » est le plus souvent d’initiative privée, encadré (un peu) par le Plan d’occupation des sols (POS) puis le Plan local d’urbanisme (PLU) : le lotissement pavillonnaire porté par des propriétaires fonciers, des géomètres, des lotisseurs ; sinon quelques groupes HLM davantage portés par l’initiative communale pour créer du logement locatif abordable, au sein de la « France des propriétaires ». Les communes accompagnent ces projets avec la création d’équipements (écoles, gymnases, piscines, bibliothèques), des espaces publics, des voiries. Là aussi l’époque est au développement, à l’accueil des populations familiales en périurbanisation qui fuient les centres étriqués ou les banlieues devenues « à problèmes ».

L’État n’est plus guère présent dans ces projets qui génèrent les nouvelles figures du territoire sauf en creux, si l’on considère que la fin de la politique des ZUP, le soutien du modèle pavillonnaire (des Chalandonnettes au prêt à taux zéro), les dispositifs de défiscalisation pour les investisseurs locatifs, ainsi qu’un cadre juridique de l’urbanisme qui incite aux zones monofonctionnelles (les POS) contribuent largement à dessiner ce nouveau mode d’urbanisation.


Pour re-faire la ville sur la ville, réinventer la ville : tout le monde s’y met, l’État revient !


Depuis les années 2000 marqués par la loi SRU et encore davantage aujourd’hui avec la loi Climat et résilience - la double perspective du Zéro Artificialisation Nette et du Zéro Émission Nette - les enjeux et contextes des projets urbains se sont largement déplacés.

Le langage en témoigne, on a rapidement glissé du « développement urbain », de la création de morceaux de ville sur des sites peu ou pas occupés, à la « rénovation urbaine » des quartiers politiques de la ville, puis au « renouvellement urbain », enfin plus récemment à la « revitalisation » des centralités historiques déqualifiées. Il s’agit désormais moins de produire des tissus urbains que de recoudre, adapter et revitaliser ceux qui existent, moins de développer que de réparer et « ménager » une ville qui va devoir rapidement s’adapter à de nombreux enjeux (chaleurs et pollutions urbaines, adaptation et résilience climatique, autonomie énergétique et alimentaire, maintien de la biodiversité...) ou « transitions » (vieillissement de la population, évolution des modes de vie, d’habiter, de travailler et de consommer, etc.) dont la déjà longue liste s’allonge encore.

Le projet urbain est devenu un outil pour recycler et re-programmer la ville face à ces nouveaux paramètres, lui offrir en quelque sorte une « seconde vie ». Les peaux issues de sa première vie (les friches, les industries finissantes, les rocades, les boulevards surdimensionnées, les hypermarchés) la gênent mais constituent aussi une opportunité de transformation (du foncier bien situé) à l’heure où elle n’est plus autorisée à croître, seulement à se métamorphoser.

Le projet doit massivement composer avec l’héritage du « déjà-là », en terrain habité, et s’apparente désormais à de la haute couture sur mesure.


La gouvernance des projets urbains s’est singulièrement complexifiée…


Les communes demeurent un acteur incontournable de l’impulsion et de la conduite des projets urbains ; mais, dans l’agglomération grenobloise, depuis qu’elle a investi ce statut, la Métropole grenobloise monte progressivement en compétences pour accompagner et organiser la restructuration de vastes secteurs urbains où les rayons d’action des communes sont confrontés à leurs limites. C’est particulièrement le cas lorsqu’il faut changer d’échelle, restructurer et adapter à la nouvelle donne des entrées de ville métropolitaines pluricommunales – les polarités GrandAlpe, Nord-est, Portes du Vercors – marquées par l‘expansion rapide et l’urbanisme fonctionnaliste des trente glorieuses, les grands ensembles, grands équipements et grandes infrastructures, les hypermarchés. C’est le cas aussi à Vizille où il faut projeter un avenir positif pour un bourg plein d’atouts mais que les risques technologiques et d’inondation ont corseté pendant plusieurs décennies.

Il est désormais plus difficile de situer précisément l’impulsion et les contours « du » projet sur ces polarités car, vu la nature des enjeux et la taille des territoires, elles se présentent comme une imbrication de multiples initiatives - dont celles portées par des entreprises ou des institutions qui étendent ou restructurent leurs bâtis, valorisent leur foncier par des opérations de promotion immobilière… - de compétences (communales, métropolitaines), de parties prenantes. De fait, le process et la gouvernance s’adaptent à chaque configuration de polarité.

Le terme « projet » n’est d’ailleurs peut-être même plus vraiment adapté tant les horizons temporels et spatiaux sont à géométrie variable ; si la Métropole contribue avec les communes et les acteurs à organiser un « récit » et un « plan guide », avec l’appui de l’Agence d’urbanisme et d’autres ingénieries (SEM, bureaux d’études), ceux-ci constituent moins une ligne toute tracée qu’une boussole pour les acteurs d’une démarche itérative, d’un projet à la fois ambitieux et humble, qui s’invente en permanence dans un monde incertain, au gré des réalités partenariales, opérationnelles, financières, de marché.


… et l’État revient au secours du recyclage urbain


Il est désormais bien loin le temps où l’État, doté d’une vision nationale de l’aménagement du territoire, impulsait les grands projets structurants pour la région grenobloise ; mais son intervention a gagné en consistance par rapport aux années 2000 où, en-dehors du pilotage de quelques Opérations d’Intérêt National, il se contentait d’orienter les projets urbains locaux par des règlementations thermiques ou des labels (écoquartier).

Dans les projets de réaménagement et de revitalisation qu’accompagne l’Agence aujourd’hui, en contexte urbain ou périurbain, le cadre étatique est systématiquement présent. À travers de nouveaux dispositifs et acronymes - Opération de revitalisation du territoire (ORT), Petites villes de demain (PVD), Programme national de rénovation urbaine (PNRU), Projet partenarial d’aménagement (PPA), Plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) et ses Zones d’exception… - l’État déploie des leviers fiscaux, règlementaires, financiers, qui lui sont propres, et qu’il délivre « sur leur demande » aux collectivités par le jeu d’appel à projets.

À travers les démarches Action cœur de Ville, PVD, et demain Petite ville d’avenir, il sait se rendre indispensable en contribuant significativement au financement des chefs de projets et de l’ingénierie d’accompagnement. Manière de créer l’étincelle dans des bourgs où parfois même la notion même d’un projet politique fédérateur avait pu disparaître face à la fatalité de la déprise, la faiblesse des moyens… ?

Mais face au vaste, complexe, coûteux, chantier du recyclage urbain, peu importe d’où vient l’impulsion, non ?  Il faut faire feu de tout bois, et que tout le monde, à tous les niveaux, se retrousse les manches !


reportage sur Vizille, une centralité en devenir entretien avec Laure Mouhot