La crise du Covid-19 a incontestablement contribué à rendre visible, à travers l’urgence socio-sanitaire, la responsabilité des territoires à mettre à l’abri et à protéger l’ensemble de la population.
Adriana Diaconu
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La crise du Covid-19 a incontestablement contribué à rendre visible, à travers l’urgence socio-sanitaire, la responsabilité des territoires à mettre à l’abri et à protéger l’ensemble de la population.
Adriana Diaconu
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REPENSER
Ces dernières années ont vu entrer la notion d’hospitalité dans la série des valeurs plébiscitées par les professionnels de la ville. Lui ont consacré leur attention des chercheurs et techniciens de grandes villes françaises réunis dans le cadre du programme POPSU Métropoles entre 2018 et 2022, ou encore l’Université d’été du Conseil français des urbanistes, en 2022. Toutefois, l’appréhension de cette notion est loin d’être évidente. Elle amène dans la discussion des facettes des politiques urbaines qui étaient restées éloignées des préoccupations des aménageurs, comme la question de la capacité des territoires à répondre aux besoins des oubliés de la compétitivité et de la mondialisation1. Portées par des stratégies d’attractivité, les politiques d’aménagement ont été déconnectées des publics les moins visibles : les plus vulnérables, les travailleurs précaires, les migrants, mais aussi les extra-métropolitains.
Toutefois, au-delà de l’adoption d’un nouveau terme dans les discussions professionnelles et politiques, pouvons-nous véritablement identifier des transformations dans les pratiques des professionnels de la ville en lien avec cette notion d’hospitalité ? Une première approche, qui infléchit les pratiques existantes, concerne l’espace public. L’hospitalité signifie alors le soin et l’attention à la manière dont l’espace public peut être plus accueillant pour différentes catégories de population, y compris pour les plus vulnérables.
Une deuxième approche, que je développerai ici, consiste à poser la question de la façon dont les professionnels de la ville peuvent favoriser l’accès aux différentes sphères de l’habitat pour celles et ceux qui en sont exclus. Selon la Fédération européenne des organisations nationales travaillant avec les sans-abris (FEANTSA), la majorité des personnes exclues du logement classique, susceptibles de solliciter les services d’hébergement d’urgence, sont actuellement ceux appelées couramment les migrants, travailleurs migrants ou exilés. Être une ville hospitalière implique alors de répondre aussi aux besoins des nouveaux arrivants pauvres ou des « passants ». Toutefois, cette compréhension de l’hospitalité publique est particulièrement difficile à adopter pour nos collectivités qui ont traditionnellement construit leurs politiques en réponse aux besoins de leurs résidents stables, voire de leurs contribuables ou électeurs. De plus, lorsque les collectivités affirment leur volonté politique de mettre en place l’accueil, leur marge de manœuvre limitée surgit dans le débat. Le rôle de la collectivité apparaît comme étant moins celui d’un régulateur du marché du logement, que celui d’un participant au jeu d’acteurs complexe de la construction et de la gestion urbaine. Intervenir signifie alors mettre en place des partenariats et créer des structures d’action pouvant connecter les secteurs immobiliers et de l’aménagement, avec celui de l’action sociale.
Mettre en œuvre l’hospitalité peut alors signifier, par exemple, intervenir dans les interstices du marché du foncier et de l’immobilier pour favoriser l’usage des espaces vacants ou sous-utilisés pour des objectifs sociaux, comme c’est revendiqué de longue date par les mouvements sociaux du droit au logement. Toutefois, la mise à disposition non lucrative de locaux peut poser question. Le foncier et l’immobilier constituant des actifs financiers pour leurs propriétaires, leur occupation, même temporaire, peut nuire à la valorisation de ces actifs. Une dégradation d’image, voire un blocage des processus de vente ou de mise en location, une diminution de la rente attendue, sont considérés comme des menaces par la sphère de l’immobilier dont les collectivités sont partie prenante. En suivant les arguments des géographes critiques comme Neil Smith, David Harvey ou Don Mitchell, selon cette pensée « entrepreneurialiste », les villes considèrent la présence des moins fortunés et des sans-abris comme une menace pour la valorisation des propriétés urbaines. Cette attitude déclenche des politiques urbaines « revanchistes » qui déplacent et invisibilisent à travers la gentrification programmée.
Le principal défi de l’hospitalité serait alors de faire une place dans les actions urbaines aux exclus de la ville et à leurs besoins sociaux qui échappent aux logiques marchandes, tout en composant avec la valorisation des propriétés urbaines qui constitue toujours le fondement du renouvellement urbain. Dans cette tension, les occupations institutionnalisées se pensent plutôt comme des stratégies de contrôle anti-squat pour favoriser une politique d’image qui valorise la responsabilité sociale de la promotion urbaine. En tout cas, lorsqu’elle intègre la question de l’habitat, l’hospitalité invite à la fois à changer les modes de penser et les pratiques des institutions locales pour expérimenter des nouvelles manières d’être acteur de la fabrique urbaine2.
1 Fabienne Brugère, 2021, Pour une métropole hospitalière, Les conférences POPSU, Paris, Stipa.
2 Un travail de recherche portant sur les projets d’urbanisme transitoire intégrant l’habitat intercalaire est à paraître dans la revue Espace politique : Adriana Diaconu & Margaux Duran Y Gonin, 2023 (à paraître en 2023), « L’habitat intercalaire à la croisée de l’urbanisme tactique et de l’action sociale : les cas de Grenoble, Rennes et Villeurbanne », L’Espace Politique.
paroles d'Adriana Diaconu entretien avec Laëtitia Rabih entretien avec Lucas Jouny