La métropole GÉOGRAPHIQUE

Regarder autrement

Composer la ville, dépasser les risques, révéler les paysages

Écrit par : Charles Ambrosino, maître de conférences à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine (IUGA) et chercheur à l'UMR Pacte

Charles Ambrosino, Maître de Conférences en Urbanisme et Aménagement à Institut d'Urbanisme et de géographie Alpine (Université Grenoble Alpes), Chercheur à l'UMR Pacte
Charles Ambrosino, IUGA / PACTE
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Grenoble XXI. Un site, trois urbanismes © Charles Ambrosino

Il n’est pas une description de Grenoble, qu’elle soit touristique, institutionnelle ou même politique, qui ne vante le cadre géographique de la cité. Emerveillé par l’encorbellement naturel des trois massifs (Vercors, Chartreuse et Belledonne) qui engoncent la « cuvette », l’observateur n’a de cesse de vanter les mérites d’un paysage extraordinaire, citant à l’envie cette fameuse maxime stendhalienne bien connue des Grenoblois, « au bout de chaque rue, une montagne ».

La plaine, cette oubliée ?


Décor grandiose et intimidant dont les pesanteurs multiples s’avèrent parfois inattendues : l’indépassable magnétisme de cette verticalité tant sublimée aura en effet pour contrepartie une sorte d’« amnésie environnementale » collective, l’oubli pur et simple de l’autre grande figure topographique du site grenoblois : sa plaine. Car oui, Grenoble est avant tout une ville de plaine. Une cité qui s'est développée lentement, abandonnant progressivement coteaux, piedmonts et collines pour mieux investir cluse, confluence et vallées. Autant de surfaces planes, singulièrement plates et faiblement élevées rendues inhabitables pendant des siècles en raison des divagations nombreuses et incontrôlables d’un dense et impétueux réseau hydrographique. C’est au prix de l’ingéniosité et de la persévérance des hommes que le visage du Grenoble contemporain s’est progressivement dessiné sous les contours d’une « métropole horizontale » dont il faut bien souligner qu’elle se déploie pour l’essentiel non pas au sein, mais au pied des pentes alpines.


Ville (contre) nature ?

Paradoxe des plus féconds : si le spectacle de la géographie (la montagne) est indéniablement fondateur de l’exceptionnalité du site grenoblois, l’urbanisme qui s’y pratique depuis deux siècles semble quant à lui indifférent à cette alter évidence géographique (la plaine), contingente certes, mais invisible pour ne pas dire invisibilisée. Aussi, faut-il le souligner, le caractère monticole de la ville ne provient pas tant de son « écrin » montagnard que de la gestion, de la régulation et de l’exploitation en plaine de ses effets. Apprivoisement croissant des éléments qui s’est progressivement traduit par un processus volontaire de pétrification des paysages, de leurs sols et de leurs usages, et de mise à distance de leurs éléments les plus caractéristiques : plaines agricoles, rivières, berges et ripisylves, collines, piedmonts et coteaux.


La plaine grenobloise, « showroom » de la maîtrise des éléments naturels

De fait, l’une des manières de (re)lire l’histoire récente du développement de la métropole grenobloise consiste à faire l’hypothèse que l’urbanisation de la plaine résulte en grande partie des phases de domestication de la pente (en tant que stock de ressources ou de contraintes à dépasser) qui l’environne. L’exploitation de l’hydroélectricité et le développement industriel, celle de l’« or blanc » et le développement touristique se sont accompagnés de temps forts du développement urbain local, la plaine devenant en quelque sorte le showroom de la maîtrise des éléments naturels. Si la fin du XXe siècle est largement marquée par le renouvellement des tissus urbains constitués, c’est avant tout sous l’angle de la réduction des émissions de gaz à effets de serre, de la sobriété énergétique et de la lutte contre la pollution de l’air que la transition écologique est localement mise en œuvre dans le cadre des politiques publiques. Une fois de plus, la configuration géographique de la cité dauphinoise rend particulièrement prégnante la problématique environnementale et invite à créer de nouveaux modes de développement urbain : la "cuvette grenobloise" génère en effet une dynamique atmosphérique singulière contribuant à la création d'épisodes pollués très intenses. Autoroutes apaisées, contrats d’axe et plan climat, écoquartiers et smart grids, constitueront autant d’outils de projet et de planification dont le déploiement positionnera Grenoble en pionnière d’innovations urbaines largement médiatisées. À l’aube du XXIe siècle, les changements globaux ne constituent-ils pas l’occasion, ainsi que nous y invite le Projet d’Aménagement et de Développement Durable du (récent) PLUi de Grenoble-Alpes Métropole, de « repenser » les rapports entre la plaine urbanisée, l’eau et « la pente, dans toutes ses dimensions et spécificités » ?


Grenoble face aux changements globaux : la superposition de trois urbanismes


Depuis les années 2000, un certain nombre d’infléchissements sont perceptibles. Ainsi, à l’heure des changements globaux, trois urbanismes (conciliant projets ponctuels et planification métropolitaine) se superposent-ils sur la plaine grenobloise poursuivant chacun l’accomplissement de visions à la fois complémentaires et alternatives du projet de sol de la métropole dauphinoise :

  1. un urbanisme « climatique » mobilisant l’imaginaire de la smart city, la culture et l’expertise locale de l'ingénieur, cela à grand renfort de démonstrateurs et autres prototypes d'une ville post-carbone énergétiquement performante (comme le projet de requalification de la Presqu’île scientifique) mais également d’un plan climat-air-énergie métropolitain ambitieux ;

  2. un urbanisme « résilient », lequel cherche, grâce à des ajustements réglementaires (par exemple l’OAP Résilience) et des projets expérimentaux (à l’image des projets Portes du Vercors ou Isère Amont), à éviter de figer le territoire dans sa vulnérabilité et à favoriser ses capacités d’adaptation au changement climatique tout en prolongeant une défiance séculaire à l’égard du réseau hydrographique grenoblois ;

  3. ce à quoi semble répondre un « urbanisme paysagiste » latent dont les ambitions sont à la fois de renverser les modes de faire la ville (c’est désormais au site de s’imposer au programme et non l’inverse) et d’envisager un projet de territoire basé sur une amplification de la géographie, un retournement des espaces urbanisés sur les grandes infrastructures paysagères du site (berges et piedmonts) et la préservation de la biodiversité (à l’instar du projet de parc Mikado ou de l’OAP Paysage et biodiversité).


Ces évolutions des urbanismes grenoblois constituent autant de signaux faibles d’un véritable changement de paradigme : un rapport nouveau au paysage s’installe, à la fois plus attentif aux qualités de la plaine urbanisée, aux espaces d’interface avec les piedmonts mais également aux territoires de l’eau, et annonciateur d’un nouveau mode de couplage ville/montagne, urbanisme, géographie et milieu.


voir la carte Figure paysagère Isère Aval voir le diaporama photo Entretien avec Sophie Galland et Nathalie Henner