CONSTATER

La ville a-t-elle les moyens / le pouvoir de se transformer ?

Demain, quelle fiscalité, quelles ressources pour les territoires ?

Écrit par : Didier Locatelli, directeur associé, Cabinet New Deal

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Didier Locatelli

En 2021, les collectivités territoriales et les EPCI ont perçu 157,4 milliards d’euros, d’impôts et taxes directes et indirectes. C’est 63,7 milliards de plus qu’en 2002. Pour autant, « la fiscalité locale est en crise existentielle »1. En cause, une succession de réformes fiscales, de suppressions et compensations qui au final ont mis à mal le sacro-saint dogme de l’autonomie fiscale des collectivités locales et rompu un lien jugé essentiel entre le développement du territoire et les recettes fiscales qu’il en retire.


La territorialisation actuelle de la fiscalité : une logique de concurrence


Il y aurait pourtant fort à dire sur les vertus supposées de ce lien. On sait tout d’abord que la territorialisation de la fiscalité tend à encourager les logiques de concurrence entre les territoires. On doit aussi poser la question de savoir si, une fiscalité locale basée sur la rente, la production, la consommation, en un mot sur la croissance, n’empêche pas en définitive les territoires de se saisir correctement de la question environnementale.

Il y a un peu plus de 20 ans, la loi Chevènement confiait la fiscalité économique aux intercommunalités afin de supprimer la concurrence stérile à laquelle s’adonnaient les communes. La feue Taxe Professionnelle Unique n’a pas pour autant, loin s’en faut, supprimé la concurrence entre les territoires. Le développement territorial est marqué par un certain nombre de convictions qui continuent à structurer fortement la manière de conduire l’action publique. La première conviction est que les territoires ont vocation à être équilibrés fonctionnellement. Le Graal de tous les territoires demeure le fameux équilibre emplois/actifs. La seconde conviction est que l’attractivité d’un territoire se confond avec sa performance économique : c’est la capacité du territoire à proposer des emplois qui conditionne son attractivité. Cette conviction initiale s’accompagne d’une autre croyance tout aussi structurante : le développement est exogène et, de fait, les territoires sont en concurrence les uns avec les autres pour attirer des entreprises et créer des emplois.


Relativiser le mythe de l’attractivité économique


Le développement économique des territoires reste focalisé sur l’économie productive et le développement exogène. La zone dédiée demeure la réponse privilégiée si ce n’est exclusive aux besoins des entreprises. On sait pourtant aujourd’hui que les stratégies résidentielles des ménages s’émancipent de plus en plus de la proximité immédiate de l’emploi et que l’attractivité d’un territoire repose autant, si ce n’est plus, sur la qualité de son offre d’habitat, son niveau de services, ses aménités et sa connectivité que sur sa capacité à offrir des emplois. Les travaux de Laurent Davezies ont montré que pour une très grande majorité de territoires l’enjeu était bien moins de produire de la richesse que de capter des revenus et de réinjecter ces revenus captés dans l’économie locale via les dépenses de consommation. L’équilibre emplois/actifs ne concerne qu’une minorité de territoires : on compte 1 254 EPCI mais seulement 306 zones d’emplois. La grande majorité des territoires est dépendante d’autres territoires pour donner à travailler aux actifs qu’ils hébergent. On sait enfin que 79,1 % des emplois sont désormais des emplois tertiaires et surtout que les acteurs économiques ne sortent pratiquement jamais de leur zone d’emploi historique. Tout cela conduit à relativiser le mythe de l’attractivité2 et à poser la question de ce que produit réellement, l’action économique des EPCI : et si finalement cette logique de concurrence n’avait pas eu tout simplement pour effet de stimuler la mobilité des entreprises au sein d’une même zone d’emploi avec comme conséquence une surconsommation foncière, une multiplication des friches économiques ou des zones partiellement inoccupées mais aussi une mobilisation importante de ressources publiques pour l’aménagement et les aides à l’implantation, la déconstruction et la dépollution des zones … avec parfois même une baisse du prélèvement fiscal ?

Plus fondamentalement, on ne peut que constater que la fiscalité locale reste largement appuyée sur une logique de développement des territoires. C’est ce constat qui conduit aujourd’hui la fédération des SCoT à plaider pour une adaptation de la fiscalité de l’urbanisme et du logement afin « de ne plus faire dépendre la marge de manœuvre des collectivités territoriales de la seule variable immobilière » et de rendre la fiscalité cohérente avec le ZAN3.


Redéfinir la politique fiscale


Malgré ces constats, les collectivités territoriales continuent majoritairement à plaider pour un renforcement de leur autonomie financière et fiscale. Comme le rappelle la Cour des Comptes4, la conception française de l’autonomie fiscale n’est pas nécessairement universelle. Remettre en cause la « souveraineté fiscale » des collectivités locales ne signifie pas nécessairement les mettre sous la tutelle de l’État. Il serait aujourd’hui souhaitable de définir une fiscalité locale non territorialisée, ou territorialisée à des échelles très larges (la zone d’emploi ?) pour éviter les concurrences artificielles entre territoires et une fiscalité locale qui ne soit pas appuyée sur une logique de développement.

La difficulté tient moins dans les mécanismes à inventer que dans le fait que ce parti pris vient heurter des convictions profondément inscrites dans l’imaginaire territorial et les promesses historiques de la décentralisation :

  • L’autonomie, juridique, fonctionnelle, organique mais surtout fonctionnelle qui conduit les territoires à nier leur interdépendance et les maintient dans une logique de concurrence.
  • L’égalité qui, en réalité, masque la revendication d’un droit au développement perpétuel de tous les territoires.

Tant que les territoires demeureront prisonniers de ce double carcan, ils se contenteront de gérer au moins mal les externalités négatives du développement sans jamais questionner le développement en tant que tel ni cette injonction perpétuelle à la croissance comme unique horizon d’évolution des territoires.


1 Martin Vanier, « La fiscalité locale à bout de souffle » - 2022
2 Michel Grossetti, « L’attractivité, un mythe de l’action publique territoriale » - 2022
3 Fédération de SCoT : Rendre la fiscalité locale cohérente avec l’objectif « ZAN » - 2022
4 Cour des Comptes, Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d’évolution - 2022


paroles de Didier Locatelli entretien avec Barbara Martin

Entretien avec Barbara Martin, Directrice du département des finances de Grenoble-Alpes Métropole