La métropole GÉOGRAPHIQUE

Totem urbain

Incarner la métropole géographique : La Bastille en projet

Écrit par : Silvère Tribout, Maître de conférences en Aménagement et Urbanisme, Chercheur au sein de l’équipe Villes et territoires du laboratoire Pacte

Grand-A--TRIBOUT_Incarner-la-metropole-geographique_Photo.jpg
Silvère Tribout, Maître de conférences en Aménagement et Urbanisme, Chercheur au sein de l’équipe Villes et territoires du laboratoire Pacte
-la_bastille_de_grenoble_vers_1610_par_jean_de_beins.jpg
Détail de la Bastille sur un plan de la ville de Grenoble établi par Jean de Beins vers 1610.
MicrosoftTeams-image-43.png
La Bastille, novembre 2021 © Myrealprod

La Bastille, par ses dimensions topographiques, paysagères, touristiques, patrimoniales, culturelles et urbaines est emprunte de nombreuses représentations et projections qui en font un site tout aussi singulier et riche que complexe à appréhender dans son ensemble. Notons d’ailleurs que cette Bastille telle qu’elle se présente aujourd’hui résulte de nombreux projets structurants, certes, mais n’ayant à chaque fois concerné qu’une partie du site. À l’inverse, la grande majorité des projets d’aménagement d’ensemble de la Bastille ont été abandonnés au fur et à mesure qu’ils étaient conçus.

Des projets au Projet ?


L’actualité de la Bastille à partir de la fin des années 2010 pourrait-elle marquer un tournant sur ce point ? Rappelons la rénovation du Belvédère Vauban du fort de la Bastille fin 2016, les rénovations, en cours aujourd’hui, de l’Institut Dolomieu en une résidence de coliving et de coworking et des jardins du Musée Dauphinois. Rappelons également le départ annoncé du Crous de la Cité du Rabot en 2023. De manière concomitante, la Ville de Grenoble commandait ces dernières années, trois études à l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise : sur le devenir des berges des quais Saint-Laurent (2019)1, sur le devenir de la Bastille2 (2019), et sur le devenir de la cité universitaire du Rabot3 (2021). Le tout avant-même que la Bastille soit choisie par la Ville de Grenoble, non seulement comme site de projet dans le cadre du concours Europan 16 (« Villes vivantes »), mais aussi comme tête de pont de « Grenoble capitale verte européenne 2022 ». Ce foisonnement d’initiatives et de réflexions prospectives pourrait-il participer de la structuration d’un nouveau projet de la Bastille (au-delà de projets à la Bastille), projet d’ensemble qui n’existe pas aujourd’hui4 ? Ne serait-ce pas une condition première pour faire de la Bastille un lieu majeur d’émergence et d’atterrissage de l’idée de Métropole Géographique ? S’il est trop tôt aujourd’hui pour répondre à ces questions, nous observons néanmoins, depuis quelques années, les indices d’une déconstruction ou d’un dépassement (même timide) des raisons longtemps avancées pour expliquer cette absence de vision commune sur le devenir de la Bastille.


Une dimension intercommunale qui s’affirme ?


Les dynamiques décrites plus haut révèlent, tout d’abord, un changement de cap politique à l’égard de la Bastille, objet périphérique au cours du mandat d’Éric Piolle (2014-2020) devenu sujet majeur de son second mandat (2020-2026). Nous observons par ailleurs les signaux d’une clarification progressive (bien que non aboutie) de la répartition des prérogatives respectives de la Métropole et des Villes de Grenoble, de Saint-Martin-Le-Vinoux et de la Tronche sur la Bastille et donc, l’affirmation grandissante de la dimension intercommunale d’un tel site. Les études produites par l’Agence appellent, plus généralement, à une clarification des rôles des multiples acteurs sur le site de la Bastille pour favoriser la transversalité des approches engagées. Ces mêmes études, notamment celle sur le Rabot, montrent comment les multiples contraintes du site, indépassables hier et participant à justifier l’absence de projet d’ensemble, constituent progressivement des problématiques à résoudre ou dépasser pour imaginer la Bastille de demain. Notons également la reconnaissance majeure de la terrasse intermédiaire de la Bastille représentée par le Rabot, l’Institut Dolomieu, l’ex-IGA et le Musée Dauphinois, dans les études menées par l’Agence comme dans les attendus du projet Europan, au profit de nouvelles étapes entre les quais et le sommet de la Bastille, au profit également de nouvelles liaisons intercommunales Est-Ouest. Le Rabot constituerait ainsi un espace de projet majeur pour les prochaines années. L’étude de l’agence d’urbanisme proposait ainsi, en février 2021, un ensemble de récits ou scénarios programmatiques pour le réaménagement de l’ancienne cité universitaire.


Du récit de la Bastille à celui de la métropole


Face à cette actualité, nous identifions plusieurs questionnements qui mériteraient d’être explorés davantage : si l'on comprend l’importance du Rabot comme opportunité majeure d’intervention sur la Bastille, comment distinguer et articuler récits du Rabot, récits de la strate intermédiaire et de récits de la Bastille ? Autrement dit, après un resserrement de la focale de la Bastille au Rabot, comment le ou les récits mobilisés demain sur le Rabot participeront-ils à nourrir un nouveau récit de la Bastille ? Seront-ils pensés comme tels ? Et plus encore, comment cet éventuel récit de la Bastille pourrait-il nourrir, demain, un récit métropolitain plus large ? Car en effet, si le passage du Rabot à la Bastille en passant par la terrasse intermédiaire est encore incertain à ce jour, celui de la Bastille à l’échelle métropolitaine l’est au moins tout autant. Par exemple, si la dernière étude sur le Rabot ou encore l’appel du concours Europan mobilisent plusieurs fois la notion d’expérimentation, n’y aurait-il pas à clarifier davantage les visées et les échelles de ces expérimentations ? Nous faisons l’hypothèse que le devenir de la Bastille, loin de constituer un point d’arrivée, mériterait de constituer un point de départ, celui, peut-être, d’un nouvel agenda en matière d’aménagement et d’urbanisme à l’échelle métropolitaine ; agenda susceptible de requestionner si ce n’est renouveler la culture urbanistique, paysagère et environnementale de la métropole grenobloise : autour des relations entre ville et montagne, entre ville et biodiversité, entre plaine et pente et de manière transversale, autour de la manière de penser les espaces publics de demain.


1AURG, 2019, Étude sur les berges de l’Isère - Entre reconquête et préservation des milieux naturels, comment la ville de Grenoble se réapproprie son cours d’eau ?, Étude pour le compte de la Ville de Grenoble, novembre 2019, 109 p.

2AURG, 2019, Mission prospective Bastille – Pour l’émergence d’un projet phare sur la colline de la Bastille, Étude pour le compte de la Ville de Grenoble, décembre 2019, 146 p.

3AURG, 2021, Mise en valeur du site du Rabot, Étude pour le compte de la Ville de Grenoble, Février 2021, 66 p.

4Absence de projet reconnue par de nombreux acteurs interrogés dans le cadre du programme POPSU et qui constitue l’un des points de départ de l’argumentaire de la ville de Grenoble dans le cadre du concours Europan.


Entretien avec Charles Ambrosino, Frédéric Pontoire, Nicolas Tixier, Julie Gauthier Entretien avec Julie Gauthier