arep-bihouix-maxime-huriez-2.jpg

De quoi parle-t-on ? Comment fait-on ?

Les villes « n’ont pas vocation à croître éternellement »

L’insoutenable étalement urbain

Entre 1982 et 2019, la population en France métropolitaine a cru de 19 % tandis que les surfaces artificialisées ont augmenté de 72 %. Selon les périodes, l’artificialisation des sols, essentiellement au détriment des espaces naturels et agricoles, a progressé deux à quatre fois plus vite que la population. Si le rythme de l’étalement urbain a ralenti sur la dernière décennie, il est encore aujourd’hui de l’ordre de 20 à 30 000 hectares par an, une tendance qui reste insoutenable sur le long terme.

La loi "Climat et résilience" de 2021 a introduit l’objectif de "zéro artificialisation nette" (ZAN) d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire ambitieux de diviser par deux le rythme d’artificialisation d’ici dix ans. À terme, l’artificialisation devra être compensée par une "renaturation" équivalente. Atteindre cet objectif est un parcours semé d’embûches : sur la manière de comptabiliser les flux, sur la façon dont les territoires s’empareront de l’objectif et répartiront les efforts de sobriété foncière, sur les impacts économiques, sur l’efficacité réelle d’un mécanisme de compensation pour enrayer la perte de biodiversité.

Densification oui mais…

La densification urbaine permet de consommer moins de sols, de réduire les déplacements en voiture, de développer les transports en commun… Mais la croissance des métropoles, "locomotives" économiques attractives, s’est aussi accompagnée d’effets contre-productifs : congestion automobile, saturation des équipements, augmentation du prix du foncier conduisant à une relégation spatiale des populations modestes et d’activités économiques en périphérie toujours plus lointaine… En concentrant les populations dans les métropoles, on a aussi augmenté le taux de vacance des bâtiments dans les zones moins attractives1.

Le philosophe et économiste du XIXe siècle John Stuart Mill considérait que, passé un certain niveau de "richesse", l’humanité pourrait atteindre un "état stationnaire", sans croissance démographique et économique, tout en continuant à progresser dans les sciences, la culture, les arts… Nous pourrions transposer cette logique à l'urbain : les villes non plus n'ont pas vocation à croître éternellement.

Le besoin d’un nouveau modèle. La ville stationnaire ?

Viser l’horizon de villes "stationnaires" ne signifie pas figer les villes, mais les transformer, les adapter aux enjeux futurs comme celui du changement climatique, concentrer leur développement sur le renouvellement, la « réparation », la rénovation, l’embellissement de l’immense patrimoine bâti existant, plutôt que sur la construction neuve, mettre en œuvre tous les leviers pour réduire le phénomène de décohabitation2 qui fait que, pour chaque habitant supplémentaire, on met en chantier deux logements, tandis que 8 millions sont sous-occupés.

Nous devons mettre en œuvre un nouveau modèle, apprendre à faire avec, prendre soin de et transmettre notre héritage urbain, revoir la politique d’aménagement du territoire pour stopper la croissance des métropoles au profit d’une redynamisation des autres unités urbaines, des villes moyennes et petites, des villages.

Cela nécessitera une action publique forte et coordonnée, à toutes les échelles (actions réglementaires, décisions fiscales, mécanismes de soutien, politiques de développement économique et de reterritorialisation, politiques foncières actives, articulation avec la mutation des systèmes agricoles et énergétiques), afin de favoriser la réhabilitation, la transformation, l’intensification d’usage des mètres-carrés existants, et pour cela d’impulser une répartition plus équilibrée, de la population, donc des emplois publics et privés, des services, de l’offre commerciale, associative, culturelle, médicale…


1 3 millions de logements vacants, dont 1 million depuis plus de deux ans.

2 Nous sommes passés de 3,1 personnes par logement dans les années 1960 à 2,2 aujourd’hui.


Philippe Bihouix, Directeur général de l'agence d'architecture AREP, auteur de La ville stationnaire, Domaine du Possible, Actes Sud, 2023