L’Agence a passé commande d’un atelier « vulnérabilité et résilience » à la promotion 2017-2018 des étudiants en géographie du Master IDT². Quels enseignements ?
La prise en compte des risques naturels dans la planification territoriale repose sur des plans de prévention des risques naturels ou technologiques, dont l’objectif général est de ne pas augmenter le nombre de personnes exposées aux risques, en réglementant ou en interdisant la constructibilité des secteurs impactés.
Élaborés par les services de l’État, ces documents réglementaires s’imposent aux documents de planification locaux. Leur élaboration, très codifiée, intègre des espaces de discussion et de négociation avec les collectivités territoriales mais associe peu les habitants.
Besoin de comprendre comment les habitants et entreprises perçoivent les risques naturels et vivent avec décaler le regard, d’imaginer d’autres façons d’intégrer le risque dans les stratégies d’aménagement du territoire… Telles étaient les recherches exploratoires proposées aux étudiants, avec trois axes de questionnement :
- La vulnérabilité actuelle du territoire de Grenoble-Alpes Métropole face au risque d’inondation ? Quelles évolutions ?
- Quelle perception du risque par les habitants et les entreprises dans les secteurs exposés ? Quelle influence sur leur choix d’implantation et d’aménagement de leur logement ou entreprise ? Un avis sur des solutions à mettre en place ?
- Quels enseignements pour imaginer une stratégie d’aménagement du territoire métropolitain à l’horizon 2050 apte à mieux concilier les enjeux de résilience face au risque (limiter la vulnérabilité du territoire en cas d’inondation) et les enjeux de développement et de renouvellement urbain dans les secteurs concernés ?
Le paradoxe de l’efficacité des digues : une érosion de la culture du risque chez les habitants…
Les étudiants ont interrogé 51 personnes à Fontaine, Sassenage et sur la Presqu’Ile Scientifique de Grenoble, en ciblant à la fois des habitants propriétaires de leurs logements (27 personnes interrogées) et des professionnels (agents immobiliers, artisans, agriculteurs soit 24 personnes interrogées). Ces entretiens semi-directifs (questions ouvertes permettant à la personne de s’exprimer) ont porté sur la perception du risque de crue et des dispositifs de protection (digues), mais aussi sur les actions susceptibles d’être mises en place à titre individuel pour atténuer les effets potentiels d’une inondation.
Cette enquête met en évidence une érosion de la culture du risque. Si la plupart des personnes interrogées savent que le risque d’inondation existe, la survenue d’une crue du Drac qui se transformerait en inondation de la plaine par submersion des digues est considérée comme un évènement improbable, que l’on n’arrive pas à se représenter. D’autant plus que, comme le dit un habitant, « le Drac n’est jamais bien haut, donc on n’y pense plus ».
Cette perception reflète l’idée de l’efficacité des digues à contenir les colères du Drac, de la Romanche et de l’Isère, et la confiance accordée par les habitants aux autorités publiques gestionnaires de ces ouvrages. Plus largement, l’absence d’inondation depuis 1948, a induit une perte de la mémoire des conséquences concrètes de ce type d’évènement. Enfin, l’importance des renouvellements de population et d’arrivée de personnes extérieures limite la transmission intergénérationnelle d’une culture du risque propre au territoire.
…qui se télescope avec une nouvelle doctrine de l’État (qui intègre désormais le risque de rupture de digue)
Cette érosion de la culture du risque est donc une conséquence paradoxale des efforts entrepris pour limiter les conséquences des crues (endiguement des cours d’eau) et limiter leur occurrence (grâce, par exemple, au reboisement des pentes pour limiter les crues torrentielles dans le cadre de la politique de « restauration des terrains en montagne » - RTM dès la seconde partie du XIXe siècle).
Pour autant, les conséquences potentielles d’une inondation de la plaine liée, par exemple, à une rupture de digue, seraient immenses en raison de l’urbanisation de la vallée et de la fragilité des réseaux techniques dont nous dépendons de plus en plus (approvisionnement en eau potable, évacuation des eaux usées, électricité, gaz, télécommunications…).
Dans ce contexte, la doctrine de l’État face au risque de crues a évolué depuis la fin des années 2000, suite notamment aux conséquences dramatiques de la tempête Xinthia (rupture d’une digue de protection face à la mer entraînant plusieurs dizaines de morts en Vendée). Désormais, les espaces situés derrière une digue ne sont plus systématiquement considérés comme protégés, car il faut intégrer le risque d’une rupture de l’ouvrage sous la force des eaux. Cela se traduit par des nouvelles préconisations visant à réduire ou à interdire la constructibilité des secteurs concernés.
Cette nouvelle doctrine n’est pas forcément comprise par les habitants : pourquoi interdire de construire alors que le risque est perçu comme très faible (les digues existent, on peut les renforcer et améliorer encore leur entretien), ou relevant de la fatalité (si la nature veut reprendre ses droits, l’homme n’y pourra rien), quand il n’est pas tout simplement nié (est-on sûr que le risque est réel ? N’y a-t-il pas d’autres risques plus importants à prendre en compte ?)
4 profils de perception du risque ressortent de l’enquête conduite par les étudiants
Les étudiants ont analysé les 51 entretiens réalisés pour identifier d’éventuelles similitudes de perception et d’attitude face au risque. Il en ressort quatre groupes d’individus, dont les caractéristiques seraient toutefois à affiner en réalisant une enquête sur un échantillon plus large :
Réactiver la culture du risque pour imaginer des alternatives à la « mise sous cloche » des territoires concernés ?
La perception des habitants souligne un autre paradoxe : alors que le territoire est de plus en plus à l’abri derrière ses digues (régulièrement améliorées au fur et à mesure que la connaissance du risque s’affine), le principe de précaution impose désormais de faire comme si les digues n’existaient pas car elles risquent de se rompre. On aboutit alors à une « mise sous cloche » du territoire (celui-ci ne pouvant plus évoluer en raison des nouvelles règles d’inconstructibilité) au nom de l’anticipation d’un risque perçu comme très improbable.
On pourrait imaginer une autre façon de penser les choses : pourquoi ne pas envisager – lorsque le contexte le permet – de « faire la ville avec le risque » en intégrant l’exigence de réduire la vulnérabilité face aux crues dès la conception des projets d’aménagement et de construction ? On pourrait par exemple accorder des permis de construire aux propriétaires souhaitant surélever leur maison afin de disposer d’au moins un étage « hors d’eau » en cas de crue, ce qui serait par ailleurs compatible avec l’ambition de densifier certains tissus pavillonnaires.
Pour explorer ce modèle alternatif qui permettrait de mieux concilier la prise en compte des risques avec la poursuite d’une dynamique de développement et de renouvellement urbain, les étudiants ont animé une séance de prospective avec des experts locaux. Pour les mettre en situation, ils ont conçu un « jeu de rôle » simulant l’évolution d’un territoire fictif face au risque de crue, dans lequel les experts prennent le rôle des décideurs, et les étudiants prennent la place des habitants (sur la base des quatre profils évoqués plus haut) en réagissant positivement ou négativement aux décisions … ce qui pèse sur l’issue du jeu.
Cette mise en situation souligne la nécessité de recréer et de partager une « culture du risque » pour éviter les réactions de déni vis-à-vis de la probabilité d’une crue,** ou, au contraire, d’excès de confiance** vis-à-vis de l’efficacité protectrice des digues, et amener ainsi les propriétaires et les aménageurs à s’impliquer dans l’amélioration de la résilience du territoire.
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