ANCRAGE

Repenser nos rapports Ville / Nature

Écrit par : Denis Coeur, Historien, Actys-diffusion

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Denis Coeur

Le développement de l’agglomération de Grenoble doit beaucoup à l’entreprise de défense contre les inondations, le Drac tout d’abord au XVIIe s., l’Isère ensuite aux XVIIIe et XIXe s. Pour préserver la cité et ses accès, les deux cours d’eau ont été endigués et maintenus dans un lit unique. Mis en sécurité, les espaces sont valorisés d’abord par l’agriculture avant d’être occupés par le développement urbain.


Fait important, l’expansion de la ville contemporaine depuis la première révolution industrielle et plus encore après la Seconde Guerre mondiale, s’est opérée sans la survenue de très grandes inondations. Les débordements de 1928 et 1948 à l’aval de Grenoble, ou ceux des années 1930 à l’amont, furent notables mais sans comparaison avec un événement comme celui de novembre 1859 sur l’Isère, dernière inondation majeure de la cité ; ou encore comme la crue du Drac de novembre 1843 au cours de laquelle la rupture des digues en amont de Pont-de-Claix précipita les eaux dans la plaine d’Échirolles, Eybens et Saint-Martin-d’Hères.


Cette absence d’événement remarquable depuis plus d’un siècle et demi pourrait être mise sur le compte d’un meilleur contrôle des rivières. Il n’en est rien. En fait, les endiguements préservent principalement contre les crues moyennes, pas contre les très grandes. Par définition ces phénomènes sont rares. D’où la nécessité d’anticiper, et de se préparer à leur retour. Les programmes de travaux du Symbhi, les dispositifs de surveillance des cours d’eau, la préparation à la gestion de crise, mais aussi les nouvelles manières de construire et d’habiter, tous ces registres articulés au sein des politiques publiques, constituent la réponse actuelle au retour des grandes inondations.


Qu’est-ce qui a changé par rapport aux très grandes crues de 1740, 1778 ou 1859 ? Aux XVIIIe et XIXe s., la solution est venue principalement d’une maîtrise technique accrue de l’espace fluvial dans un mouvement de véritable conquête du territoire. Celui-ci a participé à l’édification urbaine. Ainsi, paradoxalement, la réponse à l’inondation s’est traduite par plus de ville. À tel point que, depuis la fin du XXe s., le territoire urbain occupe tous les anciens espaces ouverts autrefois aux débordements des cours d’eau. Progrès, sans doute, mais jusqu’à quel point ?


On sait aujourd’hui – et les inondations de Prague en 2002, par exemple, nous le rappellent – que l’encadrement des cours d’eau, aussi important soit-il, ne peut empêcher le retour des grandes inondations. Dès lors, la solution n’est plus seulement dans cette maîtrise technique du territoire, – territoire où le nombre de personnes et de biens n’a jamais été aussi important – mais dans un réinvestissement de l’urbain. La résilience est là. Dans cette capacité à repenser nos rapports entre ville et phénomènes naturels, entre la ville et ses rivières. C’est un tournant de notre histoire.


vidéo : entretien avec Denis Coeur paroles de Denis Coeur voir le Plan de l'inondation de l'Isère dans la plaine de Grenoble en décembre 1740

Existe-t-il une culture du risque spécifique sur notre territoire ?