ANCRAGE

Parole de politologue – urbaniste

La question énergétique dans les politiques locales

Écrit par : Géraldine Pflieger, Directrice de l’Institut des Sciences de l’Environnement, Université de Genève

Geraldine Pflieger
Géraldine Pflieger ©DR

Comment la question énergétique doit-elle être prise en compte dans les politiques locales de planification et d’aménagement ?


Aujourd'hui, nous avons encore sous le pied énormément de marge d'économie en termes d'efficience énergétique, grâce à tous les gains en innovations sur les technologies pour la mobilité, l'amélioration énergétique des bâtiments, qui sont au cœur du plan de relance. Cela va nous guider jusqu'en 2030. Mais, à un moment donné, ces innovations ne permettront plus de gagner le supplément nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Les dernières marches de l'escalier seront plus difficiles à gravir parce qu'elles vont nécessiter beaucoup plus de synergie dans les usages. L'énergie qui n'est pas consommée, les rejets thermiques, doivent pouvoir être réutilisés pour d'autres usages : cela amène à penser en permanence la réutilisation des ressources et à concevoir une véritable planification énergétique territoriale. C'est ce que nous apprend notamment l'écologie industrielle : des ressources non utilisées, qu'on qualifie de déchet, sont récupérées au service par exemple d’une mobilité plus efficace dans les transports publics, ou encore pour le refroidissement des immeubles l’été, en créant de véritables symbioses à l'échelle de quartiers entiers.


Nous devons concevoir une véritable planification énergétique territoriale.


À partir de 2030, notre capacité à accélérer les synergies d'usages locales sera déterminante. On a tendance à le sous-estimer car on se dit que dans dix ans, il n'y aura que des éco quartiers, comme la Caserne de Bonne à Grenoble. Mais, on aura encore tous les stocks de la ville héritée notamment des XIXe et XXe siècles. C'est cela le plus gros défi qu'on doit anticiper aujourd'hui : ce n'est pas seulement faire une nouvelle ville plus belle, plus durable et plus économe, plus sobre en énergie, c’est recycler la ville existante et la mettre en capacité de franchir ces dernières marches de la transition énergétique. C'est pour ces raisons qu'on doit faire de la consommation énergétique et des ressources au sens large le principe organisateur de nos politiques locales, pour l'aménagement, la production et la rénovation de logements, les pratiques de mobilité, la politique d'implantation des commerces. Demain, les PLU vont devenir les principaux instruments de la transition énergétique. Le virage auquel on doit s'attendre ne sera pas seulement technologique mais aussi dans la façon dont on aménage les territoires.


Dans ce contexte, quel est le rôle des acteurs locaux dans la transition énergétique ?


Jusqu'alors, on a le sentiment en France que les collectivités ont eu du mal à trouver leur place. On a senti dès le courant des années 2000 que les maires, les élus, voire les techniciens avaient la volonté de mettre la transition énergétique au cœur de leur agenda, mais qu'ils ont dû conquérir cette faculté face à la concurrence des opérateurs historiques de l’énergie ou de l'État. Ce dernier a eu du mal à octroyer de nouvelles compétences pleines, autonomes, avec des moyens aux collectivités locales.

C'est bien différent en Suisse où les acteurs locaux ont davantage porté l'innovation parce que simplement c'est un système beaucoup plus décentralisé.

Néanmoins, les deux trajectoires sont en train de se rapprocher : on voit de très belles innovations et des politiques publiques très ambitieuses en France qui aujourd'hui ont de moins en moins à envier à la Suisse.


Comment la somme de toutes les bonnes pratiques au niveau local va-t-elle faire sens au plan national ?


Aujourd'hui on constate une émulation entre les villes, avec des échanges de bonnes pratiques, des objectifs plus ou moins ambitieux à atteindre. Toute la question va être : comment on recrée de la cohérence entre tout cela, comment la somme de toutes ces pratiques au niveau local va faire sens au plan national pour respecter l'accord de Paris1 notamment ; comment on arrivera à être suffisamment moteur à l'échelle locale pour que l'addition de ces initiatives amène à une réelle plus-value au niveau national et planétaire pour lutter contre le changement climatique.


Au niveau local, les élus ne risquent-ils pas d’être confrontés à des choix difficiles entre différentes voies, différents usages des ressources ?


Les élus vont se retrouver parfois face à des injonctions paradoxales. On va leur demander de relocaliser toute la chaîne de consommation des ressources, c'est-à-dire de trouver des synergies plus locales, de moins dépendre d'énergies fossiles lointaines, de produire une agriculture locale, de s'appuyer sur une alimentation locale… Or, en l’absence de changement institutionnel, c'est-à-dire des politiques publiques qui soient plus coordonnées au plan intercommunal, métropolitain et même au-delà, alors on risque de voir émerger des concurrences pour accéder à certaines ressources. Par exemple entre des plans alimentaires locaux conduits par différentes collectivités, qui essaieraient d'accéder au même marché de producteurs ; ou pour des ressources énergétiques communes, comme l'eau, qui reste un fort potentiel local en termes de ressources énergétiques ; ou encore pour l'utilisation de l'espace en général.


Créer une vision commune pour un juste partage des ressources entre les territoires.


Cela va certainement appeler à beaucoup plus de coordination et d'inter territorialité au sens plein. C'est cela qui est sans doute le plus difficile, mais c’est le vrai défi. Le risque, c’est que le combat pour la sobriété énergétique se traduise localement par la reproduction de ce qu'on a connu jusqu'alors au niveau planétaire, c'est-à-dire la course aux ressources alimentaires, naturelles, ou à l'inverse, au rejet des nuisances, en construisant des beaux quartiers vivables, énergétiquement durables en rejetant les nuisances ailleurs.

Au plan éthique, c'est plutôt du commun qu'il va falloir créer, c'est-à-dire une vision commune du juste partage de nos ressources pour servir un autre bien commun, celui de la façon dont on va offrir un cadre de vie vivable à nos générations futures.


1 Premier accord sur le climat et le réchauffement climatique signé le 12 décembre 2015 lors de la Cop 21 : engagement de réduire les émissions de GES pour limiter la hausse des températures sous la barre des 2°C


paroles de Géraldine Pflieger paroles de Géraldine Pflieger Énergie et politique locale. vidéo de Murielle Pezet-Kuhn, Chef de projet SCoT GREG à l'Agence d'urbanisme de la région grenobloise